chaque soir avant la fin des émissions il fallait s'excuser presque, ou partir doucement entre minuit et une heure du matin.
Des quatre coins du monde, des images montent lentement à la surface et flottent au vent comme des oripeaux. Puis l’œil change de vitesse: la mémoire est véloce quand on la laisse aller. Comment je me rappelle aujourd’hui, vraiment ? À la vitesse de l’ œil - électrifié.
chambres d'hôtel
Auparavant dans les chambres d’hôtel se trouvaient des postes à tube cathodique. En face de chaque lit l'écran de verre légèrement bombé, reflétait l’image des visiteurs qui défilaient nuit après nuit. Un écrivain parmi eux: il affectionnait les chambres d’hôtel. Sur une table un livre, « l’attente, l’oubli »(1).
tissu et vent
Pour chaque poste, un tissu flotte au vent jour après jour dans différents endroits. Pour chaque poste, le caractère d’un jour et d’un lieu s’imprime – la lumière, le vent et le mouvement de l’air, le ciel en arrière-plan toujours différent. Avec mélancolie, l’écrivain Orlando(2) contemple en vain les oripeaux des images impossibles et traîne avec lui pendant des années un manuscrit inachevé, cousu dans son vêtement. Pour chaque image-tissus une image littéraire apparaît, suspendue. Quelque-chose se réveille. Écrit en surimpression le texte excite le tissu; les mouvements et les couleurs s’électrifient.
objets-images
Les postes à tube cathodiques sont presque cubiques et ce volume leur donne le statut d’objet. Les images de tissu se ressemblent tout en étant chacune particulière et chaque poste acquiert de ce fait le caractère d’un personnage. Pour jouer, les écrans sont rassemblés dans une grange. Le film a pour sujet cette installation, non pas comme une mise-en-abîme, plutôt pour suggérer le nouvel espace qui s’est développé. L’opération de montage met les objets-images en relation.
un aleph
L’Aleph est un objet merveilleux qui donne à voir en même temps tous les lieux du monde. Dans la nouvelle du même nom, le narrateur Borges relate la découverte d’un aleph. Les images littéraires qui apparaissent sur les écrans sont extraites de sa formidable énumération. Mais Borges nous avertit : il pourrait s’agir d’un faux aleph, le véritable restant caché – et peut-être même oublié.
la mémoire
Dans un entretien Jean-Luc Godard à propos d’internet et des moteurs de recherche : on ne se souvient de rien avec ces outils, la mémoire n’entre pas dans le jeu. En effet, comment je me rappelle de quelqu’un ou de quelque chose, comment ça arrive ? Quand je me rappelle, je me souviens d’un visage, d’une expression, d’une musique, d’un air et cela s’enchaîne. Les images intérieures vont alors à toute vitesse - quand on les laisse aller. Comme un regard électrifié.
(1) - Maurice Blanchot
(2) - Virginia Woolf